Vasily ne se rappelait pas avoir déjà fêté l'anniversaire de qui que ce soit. Oh, il y avait bien eu ceux de ses parents, mais ça ne comptait pas vraiment. Il y avait eu les siens aussi, mais ils avaient cessé de faire sens quand Vasily avait commencé à fêter son entrée dans l'âge adulte tout en ressemblant toujours à un gamin. Et il les avait fêtés tout seul après avoir massacré ses parents. Tragique histoire, drame, tout ça...

Cette soirée-là avec Neil était une première pour lui. Il avait même pris la peine d'acheter les petits chapeaux pointus cartonnés, abordant le sien fièrement sur son crâne lisse. Il lui avait également acheté une part de gâteau, déclinant l'idée d'en prendre une pour lui. Oh, il pouvait manger, mais ce n'était pas singulièrement délicieux ni nourrissant... Il préférait s'en tenir à sa petite gourde sanguine.

Vasily était heureux comme un gamin. Peut-être même le plus heureux d'eux deux. Il fêtait un anniversaire, bon sang ! L'anniversaire de quelqu'un, d'une collègue, d'une amie, de cette soeurette d'adoption qu'il avait trouvé en rejoignant la brigade. Ce n'était pas rien, quand même ! Vasily l'aurait crié à la terre entière, mais le chapeau cartonné pointu qu'il arborait était probablement suffisamment parlant...

Un sourire aux lèvres, il sortit le cadeau qu'il avait acheté à la demoiselle, le faisant glisser sur la table jusqu'à ce qu'il arrive entre les pattes de son Bichon. Il commença à chanter, la mélodie agrémentée de son fort accent russe :

"Happy birthday to youuuu, Happy birthday to youuuu..."

Il chanta le dernier couplet dans sa langue natale, tapant joyeusement des mains :

"С днём рождения, милый/милая Chihuahua, С днём рождения тебя! Yeaaah !

Vasily était parfaitement conscient qu'il attirait l'attention, mais il n'en avait cure. Il fêtait l'anniversaire de Neil, un peu en retard, certes, et personne n'allait l'empêcher de s'en réjouir. Il riait d'avance du cadeau qu'il lui avait fait. Enfin, du faux cadeau. Il attendait qu'elle l'ouvre pour lui donner le vrai.

"J'espère que ça te plaira. A la base, j'avais songé à un déodorant 72 heures pour masquer durablement ton odeur infecte, mais je pense que ça te conviendra également !"

Vasily sourit à pleines dents, attendant que la jeune femme défasse le paquet cadeau et découvre le magnifique jouet pour chien qu'il avait acheté pour elle : un poulet couineur, parfait pour mâchouiller et entretenir sa dentition. Peut-être qu'elle pourrait remplacer sa fâcheuse habitude de fumer par cette autre manie... Vasily ne put s'empêcher de glousser en l'imaginant mordiller le jouet jaune couineur.

Même si elle allait probablement trouver un moyen de retourner la chose contre lui, Vasily faisait confiance à sa cadette pour cela. Elle savait parfaitement comment l'asticoter et il en faisait de même. Jouant avec l'élastique de son chapeau pointu, il souffla avec entrain :

"Ca te plaît ? Il m'a immédiatement fait penser à toi quand j'ai posé les yeux sur lui. Je ne sais pas si c'est son regard, son expression, mais j'ai tout de suite su que vous étiez faits l'un pour l'autre. Il est extra résistant, tu ne devrais pas le déchiqueter avant un bon moment..."

Vasily gloussa à nouveau, très fier de sa blague. Il ferait volontiers couiner le poulet pour accentuer la chose, mais il avait tout à fait horreur du bruit que faisait ce jouet.

... Et il l'avait offert à Neil. Parmi tous les jouets qu'il aurait pu lui acheter, il avait fallu qu'il lui prenne quelque chose qu'il déteste. Si elle s'en rendait compte, c'en était fini de lui et de ses oreilles délicates...

"... Quoi qu'il en soit, tu peux ranger ton nouveau petit-ami pour le moment, car j'ai ton véritable cadeau qui t'attend. Tu le veux tout de suite ou après avoir bu un coup ? Je t'accompagnerai à ma manière."

Vasily sortit sa gourde, qu'il tapota du bout de ses doigts. Pas de quoi le rendre ivre, toutefois... Il s'était toujours tenu à l'écart de l'alcool, n'étant pas certain de la manière dont la boisson pourrait interagir avec son métabolisme fragile. Ferait-il une exception aujourd'hui ?

Vasily ne put s'empêcher de se crisper visiblement lorsque Neil pressa le jouet maudit et activa son cri digne des cercles les plus profonds des Enfers. Quelle fantastique idée il avait eu, décidément... Le vampire s'empressa de faire en sorte qu'elle range cet outil démoniaque, conscient qu'elle allait très certainement le faire sursauter aux moments les plus inopportuns en le faisant couiner. Il aurait probablement dû y réfléchir à deux fois avant de lui offrir un cadeau aussi insupportable pour elle que pour lui...

Le vampire adopta une mine faussement offensée à la remarque de Neil sur son véritable cadeau, exagérant profusément ses mimiques :

"Comment ? Douterais-tu de mon extraordinaire talent pour dénicher le meilleur des cadeaux pour l'anniversaire de mon toutou préféré ? Tu me vexes, très chère. Le chauve que je suis n'a plus très envie de sourire, actuellement..."

Il fit mine de bouder, peinant à s'empêcher de glousser face à leurs gamineries. Ce qu'il partageait avec Neil était... particulier. Il n'avait jamais eu personne comme elle dans sa vie, auparavant. Une personne qu'il voulait autant protéger que charrier. Qui pouvait l'agacer un instant et l'émerveiller le moment d'après. Une amie avec qui partager une soirée d'anniversaire, même si Vasily était conscient qu'il était probablement le seul d'entre eux à véritablement s'enthousiasmer pour l’événement...

Deux verres ? Que voilà une proposition intéressante. Vasily n'était pas du genre à boire de l'alcool, encore moins quelque chose d'aussi fort que du whisky. Au cours de sa longue vie, il devait bien avoir trempé ses lèvres dans un verre de vin... Une fois. Quand il était enfant, humain et croyait qu'il s'agissait de jus de raisin... Non, Vasily n'était pas vraiment le plus expérimenté dans ce domaine. Il était plutôt du genre à être le seul être sobre de la soirée, celui qui écoute les élucubrations de ses interlocuteurs ivres et s'assure de le leur rappeler le matin venu.

Mais c'était l'anniversaire de Neil. Et Neil semblait tenir à ce que le "vieux débris" qu'il était l'accompagne dans son ivresse. Soit. Face à une moue pareille, il ne pouvait pas résister. Un sourire aux lèvres, il acquiesça, répondant d'un ton dramatique :

"Très bien, mais j'espère que tu es prête à avoir ma mort sur la conscience. Et une horde d'adorateurs éplorés à repousser, bien évidemment. Ce jour précis cessera d'être l'anniversaire du Chihuhua que tu es et deviendra la commémoration du regretté Vasily Orlov. Quelle tristesse ! Quelle tragédie !"

Vasily laissa échapper un soupir surjoué, renchérissant de façon tout aussi exagérée :

"Je les entends déjà me pleurer. "Oh, Vasily, toi qui as massacré ma famille et me permets désormais de rentrer chez moi à l'heure souhaitée, sans couvre-feu idiot, le temps m'a manqué pour te témoigner toute ma gratitude !"... J'espère que tu réalises l'étendue du drame national auquel tu es sur le point de donner naissance..."

Vasily plaisantait... A moitié. A dire vrai, il ne savait pas du tout l'effet qu'un alcool aussi fort que le whisky pouvait avoir sur son organisme fragilisé. Peut-être allait-il effectivement mourir, foudroyé par un coma éthylique, juste après son premier verre... Mais, à la réflexion, il pourrait également mourir en s'essoufflant trop. En prenant un mauvais coup. Après une pratique de magie trop intense. A cause d'une apnée du sommeil. Par une crise cardiaque.

En fait, il pouvait mourir à n'importe quel moment et boire un verre d'alcool n'ajoutait qu'une infime possibilité à l'éventail de morts éventuelles qu'il pouvait expérimenter d'une seconde à l'autre en raison de son organisme affaibli. C'était presque... excitant.

"Mais avant de taper à la porte du paradis, je veux au moins que tu ouvres ton véritable cadeau. Je veux mourir avec cette vision en dernier souvenir, au lieu de partir avec ton odeur et ton visage de chien battu en tête. Allez, vas-y !"

Vasily avait fait un effort. C'était un vrai cadeau, qui lui avait coûté cher. Un prix qu'il avait assumé grâce à son deuxième travail d'agent de sécurité, lors des soirées de Mr Zabini. Il l'avait remarqué chez une certaine bijoutière de sa connaissance et avait immédiatement songé à Neil. Il n'était même pas encore au courant de la date de son anniversaire lorsqu'il l'avait acheté impulsivement. Il savait juste qu'il devait le faire.

Vasily se balança sur sa chaise, trépignant d'impatience, attendant que la demoiselle veuille bien découvrir la nature de son présent. A ses yeux, assez évocateur pour être une petite blague commune, mais également plus sobre que le poulet en caoutchouc... Il espérait sincèrement que cela lui plairait. Pour de vrai.

Vasily laissa échapper un gloussement lorsque Neil releva son côté "dramatique". S'il avait fini, lui ? Jamais ! Ce qu'il lui fit savoir, un grand sourire aux lèvres :

"Que serait la vie sans un peu de drama ? Avoue-le, ça te manquerait, si je n'étais pas ainsi. Si j'étais aussi rasoir que l'humain Sang-Pur que j'aurais pu être, sans cette petite morsure qui a tout changé, tu n'hésiterais pas un seul instant avant de prendre tes clic et tes clac et aller chercher le fun là où il se trouve. Avoue-le !"

Difficile pour lui d'envisager ce que sa vie aurait pu être, sans la morsure, sans la transformation en vampire. Son existence aurait probablement été singulièrement courte, ses accidents de magie lui coûtaient la majorité de son énergie et il avait bien failli mourir à cause de l'un d'entre eux. Mais s'il avait survécu... S'il était allé dans une école de magie et s'était mêlé à ses semblables de l'époque...

Vasily avait beau y réfléchir, il ne pouvait absolument pas envisager ce que sa vie aurait pu être. La personne qu'il serait devenu. Tout ce qu'il savait, c'est que, s'il était en vie aujourd'hui, il ressemblerait à un grand-père, ridé et décati. Très peu pour lui. Il avait encore une bonne centaine ou plus d'années avant de commencer à s'inquiéter de vieillir. Ca faisait une chose de moins à se préoccuper.

Après qu'il l'ait suppliée tant et si bien, Neil s'était décidée à ouvrir son cadeau. Vasily, profondément excité et dévoré par l'impatience, ne pouvait que la regarder faire, se balançant sur sa chaise pour évacuer son surplus d'énergie. Au début, il crut l'avoir vexée. Ou mis mal à l'aise. Il ne savait pas très bien. Les réactions d'autrui tendaient à le laisser perplexe.

Il aimait taquiner sa camarade. La titiller. Mais la rendre malheureuse ? Ce n'était pas son but, surtout pas le jour de son anniversaire. Vasily avait ouvert la bouche pour s'excuser, mais Neil ne lui en avait pas laissé le temps. "Je l'aime beaucoup.", c'est ce qu'elle avait déclaré avant de glisser le bracelet sur son poignet. Vasily resta silencieux, processant le déroulé des événements, le ressenti de son amie, les mots qu'elle avait prononcé.

C'était le premier cadeau qu'il faisait à quelqu'un pour son anniversaire. Et Neil l'appréciait. Vasily ne demandait rien de plus. A dire vrai, il pourrait mourir aujourd'hui et il serait satisfait de la vie qu'il avait mené. Encore un peu sonné par l'avalanche d'émotions qui s'était abattue sur lui, Vasily revint à la réalité lorsque Neil lui signala qu'il pouvait renoncer directement à l'idée d'un câlin ou d'une bise en guise de remerciement.

Il étira un sourire, avant de faire une mine faussement écoeurée :

"Merlin soit loué, j'ai vraiment cru que j'allais devoir supporter ton haleine d'aussi près, pendant un instant. Restons à distance, cela épargnera mon odorat d'une épreuve supplémentaire."

La commande de Neil avait fini par arriver. La jeune femme servit leurs deux verres et en fit glisser un vers le vampire, qui le saisit entre ses doigts longs et fins. Il trinqua, mais, contrairement à sa camarade, n'engloutit pas immédiatement le contenu de sa boisson. Il se contenta d'en sentir les effluves, ce qui le traversa d'un profond frisson. Il reposa son verre sur la table, prenant une profonde inspiration, alors qu'il pouvait presque sentir la tête lui tourner.

Le parfum était... fort, c'était le moins qu'on puisse dire. Et ses narines indisposées ne furent qu'agressées davantage lorsque Neil décida d'allumer une cigarette, cette invention diabolique. Vasily dissimula son nez derrière l'une de ses mains, marmonnant un juron dans sa langue natale. C'était peut-être son anniversaire, mais Vasily était vraiment tenté de jeter un Aguamenti sur Neil et sa maudite cigarette.

Enfin, pour ça, il faudrait qu'il arrive à jeter le sortilège. La dernière fois qu'il s'y était tenté, il avait produit une misérable goutte d'eau et avait dû interrompre son apprentissage improvisé de magie pour récupérer l'énergie dépensée. Il supporterait cette agression sensorielle. Autant que possible. Reculant légèrement sa chaise, Vasily se décida enfin à retirer son chapeau pointu et enroula la ficelle autour de ses doigts, la faisant et la défaisant à un rythme connu de lui seul.

Etait-il en train de reporter l'instant où il goûterait le contenu de son verre ? Oui, définitivement. Mais cela allait bien finir par arriver, à un moment ou à un autre... A la question de Neil, Vasily ne put que lui adresser un sourire désolé :

"Déjà passé. Je suis né, très exactement, le 12 janvier 1935. Il faudra donc attendre l'année prochaine pour fêter mes 72 ans. Et je compte sur toi pour m'acheter un gâteau suffisamment grand pour contenir TOUTES les bougies. Je ne pourrai pas le manger, bien sûr, mais j'ai bien l'intention de les souffler et de faire mon voeu !"

Qu'avait-il fait, le jour de son anniversaire ? Vasily ne parvenait pas à s'en rappeler. Cela avait été probablement une journée comme les autres. Une mission. Du travail. Retour à l'appartement. Solitude. Quelques gorgées de sang. Et voilà. Personne pour célébrer sa venue au monde. Personne pour lui faire savoir qu'on pensait à lui. Qu'il était aimé.

Il haussa les épaules, chassant les pensées négatives, et enserra son verre entre ses doigts, rassemblant le courage pour le boire. Allez, d'une traite !

A l'instant où le liquide s'aventura dans sa gorge et entreprit de descendre le long de son corps, Vasily regretta terriblement ce qu'il venait de faire. La brûlure le saisit au plus profond de son être et il fut pris d'une quinte de toux. Merlin ! Qu'est-ce que c'était que cette... cette diablerie ? Il pouvait se sentir envahi d'une chaleur qui n'avait pas été sienne depuis des années, lui qui était habitué à la froideur caractéristique des vampires.

Particulièrement au niveau de son visage, de ses joues. Etait-il sérieusement en train de reprendre des couleurs, lui qui était plus pâle que la mort ? Quand la quinte de toux s'atténua enfin, les yeux de Vasily étaient rougis par les larmes versées bien malgré lui. Un frisson le traversa de part en part alors que l'alcool commençait doucement à faire son effet. Un frisson qui n'était pas dû au froid, mais à... autre chose. Difficile à définir.

Le vampire grimaça, incapable de se débarrasser de l'arrière-goût qui lui envahissait la bouche. D'une voix légèrement rauque, en raison de la toux des plus remarquables qui l'avait secoué, il marmonna :

"Et vous autres, vous... vous buvez ça pour le plaisir ? Et on dit que je suis bizarre !"

Vasily pouvait sentir le trajet de l'alcool dans son organisme, étrange et désagréable sensation. Une brûlure qui se répandait partout, allant jusqu'à envahir son esprit.

"C'est normal, cette... chaleur ? J'ai l'impression que de la lave en fusion est en train de parcourir mes veines."

Le tout le rendait aussi curieux qu'inconfortable. Il n'avait jamais éprouvé ce genre de sensations auparavant. C'était ça, boire de l'alcool ? Et les humains s'adonnaient à ça pour s'amuser ? Vraiment ?

Vasily prit une profonde inspiration et expira tout aussi fort, la chaleur le submergeant d'une manière aussi incongrue qu'étonnante. En voyant Neil se resservir, il songea qu'il serait probablement plus raisonnable de ne PAS l'imiter. S'il se sentait aussi bizarrement après un seul verre, dans quel état serait-il après une autre gorgée ?

Le vampire s'appuya sur sa chaise, ses yeux se fixant un temps sur le plafond, comme s'il s'agissait d'une vision incroyablement passionnante, avant que la voix de Neil ne le ramène à l'instant présent et ne le pousse à poser son regard perplexe sur elle. Visiblement, elle pensait que c'était sa condition d'hybride qui le rendait si sensible à l'alcool. Vasily doutait que cela soit le cas.

Oh, il n'avait jamais vraiment vu ses congénères boire, excepté du sang, bien sûr, mais il avait été suffisamment rôdé quant à la différence qui subsistait entre ses semblables et lui-même pour songer qu'ils n'étaient probablement pas aussi vulnérables à l'alcool qu'il l'était. Le goût continuait à lui prendre la bouche, la gorge, un feu intérieur qui embrumait peu à peu ses pensées et faisait de son propre corps un étranger sur lequel il n'avait pas l'impression d'avoir l'entier contrôle.

Il avait besoin d'un peu de temps pour processer les paroles de Neil. Pour y répondre. Ses doigts pianotèrent distraitement le bois de la table, Vasily clignant des yeux une fois, deux fois, trois fois, comme s'il tentait de se focaliser encore sur la situation actuelle.

La brûlure qui continuait à se propager dans son corps occupait toute son attention, une sensation qu'il ne pouvait pas oublier ni laisser de côté. Vasily passa une main sur son visage, soupira à nouveau. Concentration. Focus. Focus. Focus. Les mots étaient plus difficiles à tirer de sa gorge qu'auparavant. Pourquoi ? Comment ?

"Hmm... J'aurais pu mourir, je crois. Peut-être. Ce... C'aurait été dommage, maintenant que tu as promis de fê... de fêter mon anniversaire."

Vasily passa un doigt sur ses lèvres, confus. Les sons s'accrochaient, se heurtaient, formaient difficilement des mots intelligibles. Etrange... Après avoir bu, et même plus que lui, Neil pouvait s'exprimer aussi aisément, aussi clairement qu'avant. Pourquoi était-ce si compliqué ? Ses pensées étaient également brouillonnes, un fouilli dans lequel il devait s'efforcer de se retrouver malgré tout...

"Je... Je ne suis pas si vieux. Il me reste plus de 200 ans à vivre. C'est long, 2... 200 ans, tu sais. C'est trèès long."

Vasily recommença à pianoter sur la table, observant ses doigts comme s'ils étaient animés de leur volonté propre. Ce qui n'était probablement pas très éloigné de la réalité, dans la situation actuelle.

Vasily avait l'impression d'être à moitié en-dehors de son propre corps, n'en pilotant difficilement qu'une partie, laissant l'autre se débrouiller en roue libre.

"Mais peut-être que je... j'vais mourir ce soir. Ou demain. Ou après-demain. J'suis cassé, tu sais ? J'étais un hu... un humain cassé. Et je suis un vampire cassé.  On me ra... rafi..."

Vasily marmonna le mot en russe plusieurs fois, avant de parvenir à le retrouver en anglais et de poursuivre :

"Rafistole, voilà. Mais j'suis toujours cassé. Né cassé. Et j'vais mourir cassé. Pas de vieillesse. Cassé. Un jour ou l'autre. Cassé."

Le vampire répéta ce dernier mot, encore et encore, une ritournelle infatigable, suivant un rythme connu de lui seul. Ses yeux se rivèrent à nouveau vers le plafond. Il aurait pu jurer que ce dernier était en train de tourner.

Etrange. Ses doigts cessèrent de maltraiter la table pour se diriger vers le ciel, tentant de toucher ce plafond mouvant qui le rendait légèrement nauséeux :

"Le... Le plafond bouge, là, non ?"

Vasily continua son manège un bref instant, avant d'abaisser ses bras le long de son corps, reportant son regard perplexe sur son amie loup-garou. Perdu.

Perdu face aux nouvelles sensations qui avaient pris possession de son corps, de son âme, de ses pensées. Perdu devant la faiblesse de son être, qui encaissait tant bien que mal la quantité astronomique d'alcool pour lui qui n'avait jamais goûté qu'une gorgée de vin dans toute sa vie.

En proie à une légère intoxication, Vasily parla sans réfléchir, les
mots quittant ses lèvres non sans difficulté :

"J't'aime bien. Même si tu emp.... empestes le chien mouillé. Et la clope. Et l'a... Et l'alcool. Joyeux anni... anniversaire !"

Un petit rire se glissa hors de ses cordes vocales, un son beaucoup plus facile à sortir que les autres, il semblerait.