Il y a très longtemps, quand Alecto n'était qu'une ombre dans le sillage d'Amycus et qu'aucune tache de sang n'avait encore taché ses mains; Aloysius Rosier avait représenté pour elle un idéal inégalable. D'ailleurs, si à huit ans, on lui avait demandé de définir l'homme parfait, elle aurait sans doute dressé le portrait d'Aloysius: bien né, beau, talentueux, gentil et attentionné. Mais il fallait reconnaitre que sa qualité principale aux yeux d'Alecto était qu'Aloysius s’intéressait plus à elle qu’à son frère. Il la faisait se sentir intéressante, et jolie; il l'écoutait parler et ne lui disait jamais de se taire; il la faisait se sentir importante, plus important qu'Amycus et ça, ça n'arrivait jamais avec personne d'autre.
Et puis un jour, il était parti en voyage. Plus de jolie coiffure, ni de belles robes flamboyantes. Plus d'Aloysius: il l'avait abandonné. Il l’avait déçue.
C’était devenue une habitude, visiblement.

« Tu m’as vu embrasser un mec et tu vas t’imaginer des trucs. Ça m’étonne pas qu’on t’ait foutu dans un Institut, tu aurais mieux fait d’y rester », il dit sur un ton sec et elle peut sentir la colère dans sa voix. La peur aussi, peut-être ? Alecto en concluant donc que non, il n'y mettra pas du sien. Elle soupire. « Arrête ton cirque, Aloysius. » Il veut qu'elle le traite comme un gosse ? Très bien nous y sommes. « N'essaie pas de retourner la situation, tu n'est ni assez malin ni assez discret pour ça. » Elle repose sa tasse de café, très calmement, alors qu'elle y a à peine touché. Comment-diable avait-elle pu lui prêter tant de crédit, autre fois ? Elle n'en revient jamais, quand elle y réfléchit, d'avoir été si idiote et si naïve. Elle se penche légèrement en avant et lui sourit, de son sourire le plus mauvais et le plus froid. Parce qu'elle se souvient très bien, maintenant.

Elle se rappelle, il y a des années de cela, l'instant où il était entré dans la librairie sur Diagon Alley alors qu'elle y faisait des courses avec sa mère. Elle se souvient qu'il lui avait à peine adressé un sourire. Tu as grandis, dis donc, il avait dit. Et puis il les avait saluées poliment et il était parti, ça aussi elle s'en souvient. Elle se souvient de cette sensation de vide qu'il avait laissé en partant, la laissant là, encore ; toute seule avec sa mère qui ne s'occupait pas d'elle. Elle se rappel comme elle avait été triste, et frustré de le voir l'ignorer de la sorte, presque la fuir, alors qu'elle ne l'avait pas vu depuis si longtemps. Elle se rappel comme il l'avait déçue.

Alors elle s'était glissé par la porte de la librairie, discrètement, et l'avait suivi. D'abord dans le Londres Sorciers, puis dans le Londres Moldu, jusqu'à cet appartement dont la porte s'était ouverte sur un garçon qu'il avait embrassé, comme ça, sur le palier; comme si de rien n'était. Elle était restée là, figée sur place, caché dans un coin de la cage d'escalier, elle s'en souvient.
Elle s'en souvient vraiment très bien.

« Dis moi, comment est-ce que tu crois qu'Evan a su, la première fois » Elle demande, et il y a quelque chose de particulièrement satisfaisant à le regarder se décomposer en face d'elle. « J'étais là », elle répète encore. « Alors maintenant, fais très attention à ce que tu vas faire Aloy... Tu l’as dit toi-même, après tout :  il parait que je suis folle. » Elle ajoute, la main fermée sur le manche de sa baguette tranquillement posée sur ses genoux. Elle en a assez qu'il pense pouvoir se foutre d'elle, qu'il pense pouvoir toujours s'en tirer à bon compte, qu'il se considère au-dessus de tout et de tout le monde. Si c'était elle qui était à sa place, on ne lui offrirait pas une tasse de café, et encore moins le droit de parler pour essayer de nier ou de se défendre. Aloysius est comme tous les autres finalement: lâche et décevant.

Mais elle ne s'en étonne pas, parce que de l'affection qu'elle avait porté à Aloysius Rosier quand elle était enfant, et de l'amer déception qu'il lui avait laissé ; Alecto en avait tiré une grande leçon: il n'y a rien d’autre à attendre des hommes.